La traversée

En écoute : Steven Wilson - Personal Shopper

Un jour de repos comme les autres, enfin pas tout à fait.

Le réveil déjà, bien trop tôt alors qu’il n’y a pas l’obligation de se rendre au travail. Un café, deux cafés et le train. Le paysage défile, l’esprit est ailleurs, vagabonde vers des pensées pas forcément sympathiques.

La musique, toujours, vient adoucir ces moments. Un peu de rock progressif pour partir, essayer tout du moins, ailleurs.

Des centaines de kilomètres sur les rails, bercé par l’avancement du train. La vie, elle, avance également. Un long trajet pour quoi ? Pour un signal d’alerte, un appel aux secours d’un Homme. L’envie de ne plus y être, le besoin de se détruire pour se soulager. Toujours dur de penser que cela peut être vécu.

Un long trajet donc, où l’on se dit qu’on aurait pu, que l’on a pas fait, enfin, pas complètement. Et en même temps, tendre la main dans le vide est un exercice compliqué, s’il n’y a pas d’accroche en face, que faire ? Essayer de tendre la main un peu plus loin ? Chercher ce petit coin où l’agrippement est possible ?

Parfois l’endroit est caché, impossible d’accès, bloqué par un cerveau en proie au lâcher-prise.

Enfin cela c’est ce qui me passe à l’esprit alors que la belle campagne du Val de Loire laisse place à des paysages plus au Sud.

Sur le trajet un bouquin et de la musique m’accompagnent, comme souvent. Une histoire d’humains luttant dans un monde impersonnel, dicté par la finance et la bien-pensance. Un monde où tout un chacun pense pouvoir jouer un rôle majeur sur le grand échiquier mondial, où comme souvent l’Homme est pris dans une trame sous-jacente, sans se rendre compte qu’il est au final bien plus esclave du monde que pleinement libéré du poids de la société. ( Les Machines Fantômes d’Olivier Paquet).

Avec cela Leprous accompagne mes oreilles avec leur dernier album intitulé Pitfall, réflexions sur les problèmes psychiques d’un de leur membre. Un album magnifique, complexe et envoûtant. Les émotions y sont très perceptibles et c’est un régal d’un point de vue composition.

Les mots et les sons reflètent l’état actuel des choses, ouais.

Une fois arrivé sur place, déjà la ville. Le bruit constant, le béton envahissant, impersonnel, inhibiteur de vie. Les affichages, les publicités dans tous les sens. À chaque coin de rue la confrontation. Je me dis qu’il y a matière à s’y perdre, matière à se haire, s’oublier tant ce mode de vie prône la compétition, la frustration au détriment d’un épanouissement simple et individualisé (≠ individualiste).

Une machine pouvant broyer la moindre faille, venir s’y loger et petit à petit gratter le tour, s’infiltrer au plus profond de l’être pour venir dégrader lentement un psychisme déjà fragile. La plupart des gens n’y verront rien, vivant tranquillement sans prêter attention aux autres, ceux que la ville dévorent à petit feu.

Et puis tu y es, tu y rentres. Ça sent l’hôpital, impersonnel, malheureuse vétusté du service public. En revanche ça sent le soin, la présence de personnes vouant la majeure partie de leur temps à panser les blessures, les découvrir et essayer de soigner les maux de l’âme. On t’emmène à la chambre, la personne est là. Dans cette pièce dépouillée de toute tentation, la personne est là.

Son enveloppe physique tout du moins, son psychisme est encore ailleurs, récupérant de cet élan excessif, désespéré, cet appel à l’aide après tant d’année d’une lente et destructrice combustion.

On parle de tout, de rien. Le sujet de ma présence plane au-dessus de nous sans souhaiter être mentionné. Les démons aiment se tapisser dans l’ombre, omniscients et silencieux.

Les paroles vont et viennent, de-ci de-là on note des mots-clés, des phrases lancées inconsciemment, peut-être, l’air de rien, et qui pourtant en disent long. Des sourires forcées, un mélange de pudeur et de gène envahissent la conversation.

En façade il parait bien, en bonne forme. Une fois le premier voile tombé, le dialogue et la confiance installés, les apparences sont comme souvent trompeuses. Non il n’est pas bien, la forme ce n’est pas ça non-plus. J’ai tendance à penser que sous l’effet des divers médicaments les mots ne sortent jamais par hasard, bien que parfois pouvant avoir l’air d’être inappropriés au sein de la conversation. Au contraire, le filtre habituellement mis en place dysfonctionne. Perturbé, il laisse passer des mots, ceux qu’il ne laisserait jamais passer en temps normal.

Quelques semaines, de longs jours pour amorcer un processus de reconstruction. En partant je lui souhaite de prendre soin de lui, il me répond qu’il n’a pas besoin, car il y a des professionnels pour ça. Je lui souris et lui répond qu’ils sont, nous sommes aussi, là effectivement mais qu’il faut aussi qu’il y soit lui, bien présent, prêt à accepter cette aide qu’il a si souvent refusé. Une larme coule lentement le long de ma joue alors que je quitte l’endroit.

Je pars, en me disant que ce n’est pas gagné. Il y a cependant de l’espoir, je crois, j’espère, je le souhaite .

On t’aime mon pote.

#Journal #Réflexion

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