La mémoire des autres: Le Covid et la boite de vitesse

Ce texte reflète une pensée individuelle à un instant t, se basant sur une expérience personnelle.

Déjà deux ans, deux longues années que ce foutu virus est entré dans nos vies. Nul n’est sans savoir que les EHPAD ont été durement touchés par cette crise sanitaire, et alors que nous semblons voir une potentielle éclaircie se profiler, on se prend un coup dans la tronche avec les scandales Orpea et consorts.
Mais, revenons si vous le voulez bien deux ans en arrière.

Il était une fois, en 2020

Il y a deux ans, cette grippe chinoise venait déferler sur le monde des EHPAD. On s’empressa alors de cadenasser ces lieux pour contenir le virus, éviter les morts par milliers.

Car il faut bien entendre qu’une personne résidant en EHPAD n’est pas de la première fraicheur, et qu’en général elle souffre de multiples pathologies affectant profondément son système immunitaire.

On verrouille donc, confinement strict en chambre. Autant dire que dans L’unité d’hébergement renforcé ou je travaille, comprenez un secteur alzheimer ou nous avons la crème de la crème (et il s’avéra que cette crème était fraiche…), cela n’a pas duré. Priver une personne de la liberté d’aller et venir, on le sait, ça fait jaser. Et lorsque l’on rajoute une démence par-dessus c’est absolument invivable pour la personne, car on la prive d’un moyen d’extérioriser ses troubles.
Résultat: Après des chambres mises à sac, nous avons rouvert les portes des résidents. Puisque les seuls contacts étaient les soignants, qui n’avaient pour seuls contacts la famille proche et les résidents, les risques étaient minimes.

Donc nous nous retrouvons du jour au lendemain sans plus aucune visite, les résidents vivent à leur rythme, pas la pression de bien s’habiller, de se raser tous les jours, d’être impérativement chaussé avec les chaussures qu’il a eues pour son anniversaire (c’est quand déjà ?). Les bars sont fermés et nous ouvrons dans l’unité un bar, une simple pancarte et des faux billets glissés dans les poches à l’habillage pour venir prendre une grenadine comme si, manger un casse-croute de rillettes vite fait puis vaquer à ses occupations. Un flash de souvenirs, un endroit où l’on fait travailler sa mémoire. Sur le bar les sets de table sont remplacés par des photos de personnes connues, des lieux, des opérations mathématiques et des phrases truffées de fautes d’orthographe, faisant passer les patrons du bar pour des billes.

Libération

Ce premier confinement fut l’occasion de remettre à plat notre façon de travailler, affirmer un soin humanisant, respectueux le plus souvent possible.

Compliqué d’expliquer aux familles que leurs parents vivaient très bien sans eux, même parfois un peu mieux que bien car moins sursollicités, rythmant la journée comme ils l’entendent, le soignant n’étant jamais bien loin, modulant son soin autours de ce rythme retrouvé, inventé pour certains.

Placer son parent en EHPAD est une chose douloureuse, accepter la pathologie démentielle est une chose compliquée et évolutive, alors lorsque les deux se rencontrent il est compliqué de venir voir son parent sans le surstimuler. Nous avons tous entendu ou vu des enfants dire « Rohh mais si maman, tu te rappelles forcément xxx, mais si fait un effort. » ou « Tu le fais exprès pour m’embêter hein, avoues ! » et des familles parlant aux soignants de leur parent, sans se préoccuper de lui assis à côté, entendant, absorbant les dires… Loin de moi l’idée de dire du mal des familles, d’ailleurs la réouverture des visites a fait couler nombres de larmes sur mes joues. Une étincelle dans les yeux en revoyant sa femme, un sourir en voyant les enfants. Du pur bonheur. Ce fut également l’occasion de montrer les photos qui avaient été pris durant ces semaines en ermitage, d’expliquer les changements bénéfiques dans la prise en charge, d’inviter à comprendre, à essayer de s’adapter.

D’un point de vue personnel je pense que cette crise sanitaire m’a fait du bien, affirmant la vision des soins en EHPAD que j’avais depuis des mois, que j’ai appris en me formant. Cette crise fut aussi l’occasion de souder pleinement une équipe soignante, seule bulle d’air dans ce vaste monde qui s’était subitement replié sur soi.

Les doutes

Bien sûr je parle de cela tranquillement car, et c’est un soulagement, nous n’avons eu aucun cas de covid jusqu’au mois de février 2022. C’était notre hantise, celle de partir en repos et de revenir et apprendre la perte d’un grand nombre de résidents. Lorsque je voyais les morts s’accumuler dans les EHPAD, les résidences décimées par ce fléau, cela me retournait les tripes. En terme de stress post-traumatique ça se pose là, et je pense que les soignant(e)s ayant vécus ces lourdes pertes méritent un profond respect ainsi qu’un accompagnement sur le long terme.

Bien sûr la mise en pratique est constamment remise en cause, sortant du cadre elle percute, interroge, dérange. L’équipe est alors en perpétuel doute, elle cogite pour adapter son soin, travaille sans relâche pour personnaliser ce soin. Et régulièrement les mêmes questionnements reviennent: « On fait bien ou pas ? ».

Ce questionnement trouvera écho un peu plus bas dans ce texte, mais pour l’heure il faut bien se rendre à l’évidence. La méthode fonctionne globalement. Nous arrivons à avoir un service ou se côtoient jours et nuits des personnes ayant des troubles sévères et nous n’avons que peu d’accidents à déplorer. Et lorsqu’une altercation survient, qu’un résident monte en pression nous arrivons la plupart du temps à remonter aux origines du trouble et à mettre en place des solutions préventives pour la fois prochaine.

Deux ans plus tard

Deux ans ont passé, deux années éprouvantes, deux belles années néanmoins. Cela ne fut pas simple d’expliquer ce nouvel élan dans notre façon de prendre soin. L’incompréhension était de rigueur, souvent plus chez les soignants que les familles d’ailleurs.

Il faut bien comprendre, même si cela tend à changer doucement au sein des cursus de formation d’Aide-Soignant(e)s, l’école forme pour du soin hospitalier principalement, du soin d’hygiène. En EHPAD il faut comprendre que le soin d’hygiène n’est pas tout, en tant que lieu de vie le soin se veut également récréationnel, social.

Un des grands soucis lorsque l’on travaille dans un EHPAD géré par un Centre Hospitalier c’est que le soignant arrive souvent ici par défaut. Il postule sur l’hôpital, se retrouve en EHPAD, et y reste parfois longtemps. Nous partons alors avec des personnes non-formées aux soins dans les lieux de vies (n’ayant peut-être pas pris le temps de lire la charte du résident, la réglementation des droits et usages dans les lieux de vies comme les EHPAD) et surtout des personnes ayant un autre but, une autre perspective de leur métier. Celle-ci pouvant être sur le versant plus technique, plus hospitalier.

Le problème du nombre de personnel est véridique, nous sommes cruellement en manque de moyens, mais je reste convaincu qu’il faut également mettre l’argent sur la table pour former les soignants aux soins autres que l’hygiène. Plus de personnel dans les EHPAD oui, si c’est pour faire plus de douches non.

Grand sujet d’ailleurs la douche. Qu’est ce qu’une douche ? Outre le lavage qui va avec, comme un bain d’ailleurs, une douche est un moment de relaxation, un moment de relâche après une journée de travail, après un effort physique. Pourquoi cela serait-ce différent en EHPAD ? Pourquoi pas une douche en fin de journée ?

Je reste également persuadé qu’une personne en fin de vie, ou tout du moins vers une fin de vie, en EHPAD donc, ne savoure pas une douche comme elle a pu le faire plus jeune. Je pense d’ailleurs qu’elle préfèrerait sûrement une simple toilette génito-anale, un coup sur la goule, les mains, peut-être le dos et prendre le temps d’être massée, prendre le temps de discuter, prendre le temps de montrer des albums photos, de faire un brin de ménage, de savourer un café avec le soignant. Je pense assurément que cette personne retiendra bien plus positivement une personne prenant le temps d’offrir autre chose qu’un lavomatique où il n’y a même pas besoin de mettre une pièce… La machine étant déjà lancée, programmée avant même qu’elle ne pénètre dans la chambre.

Par exemple dans l’unité ou je travaille, peu de résidents portent des chaussures, en tout cas en continu. Compliqué de porter quelque chose lorsque vous ne savez pas ce que c’est, lorsque vous vous acharnez sur les lacets en serrant tellement fort, en faisant tellement de noeux qu’il est impossible de les défaire sans les couper. Cette liberté fut prise pendant le confinement. Au retour des familles, un sentiment d’incompréhension régnait, il a alors fallu expliquer. Il a fallu également montrer les vertus à cette pratique: Les résidents semblaient apprécier le contact de la peau avec l’herbe fraiche, les soignants organisèrent des activités avec de la marche sur différentes textures pour faire travailler les sensations. Et plutôt que de laver de font en comble la personne, des bains de pieds étaient régulièrement mis en place afin de conserver une hygiène correcte.

Passer la deuxième

La modification profonde de la prise en soin était donc amorcée… Et nous attendons toujours de pouvoir passer la deuxième et avancer plus loin.

Peu importe que l’EHPAD soit public ou privé, là où le bât blesse c’est dans la gestion même de ces établissements. Même en ayant des soignants magnifiques, la prise en soin n’évoluera pas plus loin sans un encadrement compréhensif, enthousiaste et rigoureusement humanisant, étant à la fois force de proposition et un tremplin pour celles de soignants.

Il faut également mobiliser les familles, qu’elles soient dans la mesure du possible actrices du soin, qu’elles prennent part dans les sorties, la vie sociale des résidents.

Embrayer sur un soin plus moderne, plus humain c’est également une valeur que nous devons porter en tant que société. Certes, placer ses parents est un acte terrifiant. Et bien que le soin à domicile est grandement évolué, permettant de garder le plus possible les personnes à leur domicile. Il est parfois impossible de laisser une personne chez elle. De part sa forte grabatisation ou alors par des troubles cognitifs sévères. Voulons-nous alors porter au sein de la société l’image d’un EHPAD daté, pratiquant sans plus de formation que cela, sans plus de motivation parfois. Pratiquant un art révolu, faute de moyens, faute d’envies, faute d’ambition, faute d’empathie.

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