La mémoire des autres: Le pouvoir du rythme

On parle souvent, dans les maladies de la mémoire, de la forte présence résiduelle de la musique chez les sujets. En effet il s’avère que les difficultés mnésiques sont le plus souvent atténuées lorsque la musique est le sujet d’apprentissage. D’ailleurs avec des malades de la mémoire on ne parle plus d’apprentissage, mais de stimulation de la mémoire procédurale. Il s’agit pour une personne de répéter chaque jour les mêmes gestes, ainsi il y a une chance que cette routine s’ancre et puisse être appliquée machinalement, sans savoir le pourquoi. Cet apprentissage est plus facile lorsque les personnes ne souffrent que d’une démence de type alzheimer, lorsque plusieurs démences s’additionnent, on parle alors de démence mixte, cela rend la chose plus complexe.

Dans l’unité où je travaille nous sommes quelques-uns à croire farouchement que la musique est une voie thérapeutique majeure pour l’apaisement des troubles. Elle doit bien sûr être appliquée en ayant préalablement analysé le cadre, et en ayant pesé le pour et le contre. Dans certains cas, les personnes sont tellement affectées par leurs troubles qu’ils ne pourront avoir un réceptacle attentionnel suffisamment profond pour adhérer à la musique.

Depuis quelques-temps nous utilisons la musique sous diverses formes:

La musique est aussi utilisée comme exutoire, principalement avant d’aller se coucher. Lorsqu’un repas s’est déroulé paisiblement, que le groupe est disposé, nous envoyons des morceaux avec des rythmes prononcés, faciles à appréhender (les années 70/80 le plus souvent, mais il arrive que des percées soient faites dans les années 2000) et tout le monde se met à danser. Le rythme est tout d’abord calqué sur celui des soignants puis, après quelques chansons, les personnes se mettent à se regarder, à s’inviter du regard. Les troubles, les différences s’effacent et la joie collective se met tout doucement en place.

Tout en s’amusant, en extériorisant ses troubles il est possible de travailler. Les rythmes sont ainsi utilisés pour faire travailler la motricité. Merci d’ailleurs aux rythmes du blues touareg, merci aux ondes orientales, merci également au disco.
Et puis lorsque l’après-midi fut électrique, la tension ambiante palpable, une petite demi-heure de musique de relaxation avant le repas fait, le plus souvent, s’apaiser le monde.
Et lorsque la danse du soir a fait transpirer tout ce petit monde, on se pose autours d’un chocolat chaud, d’un lait chaud agrémenté de miel en se détendant avec du piano. Du piano tout doux, délicat, apaisant. Il n’est pas rare que F s’endorme sur sa chaise, que R somnole en battant la mesure. La journée s’achève, le job est fait.

Par exemple hier soir, nous avons dansé pendant quarante minutes en balayant un large spectre musical:

C’est dans des moments comme ça que tu oublies les tracas du quotidien, les aléas du monde, que les résidents en oublient d’oublier, en oublient de vivre dans une bulle hermétique. Ce n’est plus quinze individus, mais un groupe que nous avons devant nous, un collectif, une équipe.

Et c’est beau, et ça vit… bientraité.

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